Page:Sand - Mauprat.djvu/307

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pour moi, je viens ici parce que M. Jean de Mauprat désire me faire part, a-t-il dit, de projets qui me concernent et que je suis prêt à écouter. Si vous voulez permettre que je me rende près de lui.

— Je n’ai pas voulu qu’il vous vît avant moi, jeune homme, s’écria le prieur avec une affection de franchise, et en s’emparant de mes mains, que je ne sentais pas sans dégoût dans les siennes ; j’ai une grâce à vous demander au nom de la charité, au nom du sang qui coule dans vos veines…

Je dégageai une de mes mains, et le prieur, voyant l’expression de mon mécontentement, changea sur-le-champ de langage avec une souplesse admirable.

— Vous êtes homme du monde, je le sais. Vous avez à vous plaindre de celui qui fut Jean de Mauprat et qui s’appelle aujourd’hui l’humble frère Jean-Népomucène. Mais, si les préceptes de notre divin maître Jésus-Christ ne vous portent pas à la miséricorde, il est des considérations de décence publique et d’esprit de famille qui doivent vous faire partager mes craintes et mes efforts. Vous savez la résolution pieuse, mais téméraire, qu’a formée frère Jean ; vous devez vous joindre à moi pour l’en détourner, et vous le ferez, je n’en doute pas.

— Peut-être, monsieur, répondis-je froidement ; mais ne pourrais-je vous demander à quels motifs ma famille doit l’intérêt que vous voulez bien prendre à ses affaires ?

— À l’esprit de charité qui anime tous les serviteurs du Christ, répondit le moine avec une dignité fort bien jouée.

Retranché derrière ce prétexte, à la faveur duquel le clergé s’est toujours immiscé dans tous les secrets de famille, il lui fut aisé de mettre un terme à mes questions ; et, sans détruire le soupçon qui combattait contre lui dans