Page:Sand - Mauprat.djvu/335

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la défense, que j’avais serrée dans mes bras à la Roche-Mauprat ; c’était une femme intrépide et fière, qui se fût laissé égorger plutôt que de permettre une espérance audacieuse. D’ailleurs, c’était la femme qui se sait aimée avec passion et qui connaît sa puissance. Elle me repoussa donc avec dédain, et, comme je la suivais avec égarement, elle leva sa cravache sur moi et me menaça de me tracer une marque d’ignominie sur le visage, si j’osais toucher seulement à son étrier.

Je tombai à genoux en la suppliant de ne pas me quitter ainsi sans me pardonner. Elle était déjà à cheval, et, regardant autour d’elle pour retrouver son chemin, elle s’écria :

— Il ne me manquait plus que de revoir ces lieux détestés ! Voyez, monsieur, voyez où nous sommes !

Je regardai à mon tour, et vis que nous étions à la lisière du bois, sur le bord ombragé du petit étang de Gazeau. À deux pas de nous, à travers le bois épaissi depuis le départ de Patience, j’aperçus la porte de la tour qui s’ouvrait comme une bouche noire derrière le feuillage verdoyant.

Je fus pris d’un nouveau vertige, il y eut en moi une lutte terrible des deux instincts. Qui expliquera le mystère qui s’accomplit dans le cerveau de l’homme, alors que l’âme est aux prises avec les sens et qu’une partie de son être cherche à étouffer l’autre ? Dans une organisation comme la mienne, cette lutte devait être affreuse, croyez-le bien, et n’imaginez pas que la volonté joue un rôle secondaire chez les natures emportées ; c’est une sotte habitude que de dire à un homme épuisé dans de semblables combats : « Vous auriez dû vous vaincre. »