Page:Sand - Mauprat.djvu/424

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bonheur, dans l’indépendance. Je n’aurais jamais pu me réconcilier avec moi-même si j’avais privé sa vieillesse des biens qu’il avait répandus sur toute ma vie. Ne crois pas que je sois vertueuse et grande, comme l’abbé le prétend ; j’aime, voilà tout, mais j’aime avec force, avec exclusion, avec persévérance. Je t’ai sacrifié à mon père, mon pauvre Bernard ! et le ciel, qui nous eût maudits si j’eusse sacrifié mon père, nous récompense aujourd’hui en nous donnant éprouvés et invincibles l’un à l’autre. À mesure que tu as grandi à mes yeux, j’ai senti que je pouvais attendre, parce que j’avais à t’aimer longtemps, et que je ne craignais pas de voir évanouir ma passion avant de l’avoir satisfaite, comme font les passions dans les âmes faibles. Nous étions deux caractères d’exception, il nous fallait des amours héroïques ; les choses ordinaires nous eussent rendus méchants l’un et l’autre.