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V


N’ayant plus rien à craindre pour moi-même, il m’eût été facile de me venger de mon ennemi ; tout m’y conviait. Le propos qu’il avait tenu contre ma famille eût suffi, sans même invoquer l’outrage fait à ma personne, et que je répugnais à avouer. Je n’avais donc qu’un mot à dire : sept Mauprat eussent été à cheval au bout d’un quart d’heure, charmés d’avoir un exemple à faire en maltraitant un homme qui ne leur fournissait aucune redevance, et qui ne leur eût semblé bon qu’à être pendu pour effrayer les autres.

Mais, les choses n’eussent-elles pas été aussi loin, je ne sais comment il se fit que je sentis une répugnance insurmontable à demander vengeance à huit hommes contre un seul. Au moment de le faire (car, dans ma colère, je me l’étais bien promis), je fus retenu par je ne sais quel instinct de loyauté que je ne me connaissais pas, et que je ne pus guère m’expliquer à moi-même. Et puis les paroles de Patience avaient peut-être fait naître en moi, à mon insu, un sentiment de honte salutaire. Peut-être ses justes malédictions contre les nobles m’avaient-elles fait entrevoir quelque idée de justice. Peut-être, en un mot, ce que j’avais pris jusque-là en moi pour des mouvements de faiblesse et de pitié commença-t-il dès lors sourdement à me sembler plus grave et moins méprisable.