Page:Sand - Mauprat.djvu/66

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un échange de service frauduleux, nous échappâmes encore une fois à la misère.

Je dis nous, car je commençais à faire partie de cette bande de coupe-jarrets quand mon grand-père mourut. Il avait cédé à mes prières et m’avait associé à quelques-unes des dernières courses qu’il tenta. Je ne vous ferai point d’excuses, mais vous voyez devant vous un homme qui a fait le métier de bandit. C’est un souvenir qui ne me laisse nul remords, pas plus qu’à un soldat d’avoir fait campagne sous les ordres de son général. Je croyais encore vivre au moyen âge. La force et la sagesse des lois établies étaient pour moi des paroles dépourvues de sens. Je me sentais brave et vigoureux ; je me battais. Il est vrai que les résultats de nos victoires me faisaient souvent rougir ; mais, n’en profitant pas, je m’en lavais les mains, et je me souviens avec plaisir d’avoir aidé plus d’une victime terrassée à se relever et à s’enfuir.

Cette existence m’étourdissait par son activité, ses dangers et ses fatigues. Elle m’arrachait aux douloureuses réflexions qui eussent pu naître en moi. En outre, elle me soustrayait à la tyrannie immédiate de Jean. Mais, quand mon grand-père fut mort et notre bande dégradée par un autre genre d’exploits, je retombai sous cette odieuse domination. Je n’étais nullement propre au mensonge et à la fraude. Je montrais non seulement de l’aversion mais encore de l’incapacité pour cette industrie nouvelle. On me regarda comme un membre inutile, et les mauvais procédés recommencèrent. On m’eût chassé si on n’eût craint que, me réconciliant avec la société, je ne devinsse un ennemi dangereux. Dans cette alternative de me nourrir ou d’avoir à me redouter, il fut souvent délibéré (je l’ai su depuis) de me chercher querelle et de me forcer à une rixe dans laquelle on se déferait de moi. C’était l’avis de Jean ; mais