Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/141

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dictions. Si je l’eusse connu bon et paternel, j’aurais souffert mille fois davantage de son égarement.

» Peu de temps après l’aventure que je vous ai dite, mon père acheta une terre aux environs de Saint-Malo. Il y fit de grandes dépenses, prétendant tripler son revenu. Il s’y ruina et en vint à une telle exaspération, qu’il voulut battre ses régisseurs et ses paysans. À la suite d’une querelle où ils se révoltèrent, on le rapporta chez nous blessé et mourant. Il ne survécut pas six mois à mon frère. Il ne survécut pas huit jours au père de Zoé, mort aussi par suite d’une obéissance trop passive à ses terribles fantaisies.

» M. Sylvestre vous a dit que j’avais réussi à payer toutes les dettes de mon père. Sa situation était si embrouillée, que la lutte durerait encore, si j’avais voulu lutter ; mais je fus prise d’un si grand dégoût devant cette liquidation, que j’abandonnai tout aux soins d’un honnête avoué du pays et déclarai que je m’en tenais à ce qui pouvait rester de l’héritage de ma mère. C’était une petite rente qui ne me fut pas contestée, mais que j’abandonnerai aussi, s’il le faut, dans quelques mois, à ma majorité. On m’assure pourtant que les créanciers ne perdront rien, et que je conserverai ce débris. J’ai cherché fortune à Paris, où deux ou trois femmes excellentes s’intéressaient à moi et avaient commencé à me trouver des leçons : mais Zoé est tombée malade. J’aurais pu payer sa tante pour la soigner et rester libre ; mais aurais-je gagné l’équivalent de cette dépense ? Et, si je l’eusse fait, à quoi bon quitter cette enfant qui n’aime que moi au monde, et qui, tout en se résignant, mourrait, de chagrin sans moi ? Vous voyez que cela ne se peut pas. Si je dois la perdre, au moins elle aura été aussi