Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/16

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pende d’un autre homme, cet homme fût-il son propre père. Dépendre, c’est à dire obéir sans examen à des volontés quelconques ! Malheureux les enfants qui sont soumis à ce dangereux régime ! Moi qui ai toujours protesté, je n’en vaux pas mieux au bout du compte : car si j’ai préservé mon honneur et sauvé ma juste fierté, j’ai dû malgré moi perdre ce tendre respect et cette sainte confiance qui sont la religion de nos jeunes années ; mais de quoi me plaindrais-je ? Je suis comme tous ceux de la génération à laquelle j’appartiens. Si ce n’est contre nos propres parents que la lutte s’engage, c’est du moins contre nos pères dans le sens général du mot, c’est contre le culte de l’argent porté si loin sous le dernier règne. Nous voici, nous autres, très-dégoûtés de l’esclavage de la richesse. Nous ne sommes pas des saints pour cela : nous ne prétendons pas nous passer des biens de la vie ; mais nous voulons les conquérir nous mêmes sans nous humilier. Est-ce donc si criminel, si insensé, si terrible ?

Mais je prêche un converti ! Écris moi… J’allais te dire où. Le fait est que je n’en sais rien. J’ai quitté la maison de mon oncle sans rien emporter qui me vienne de lui. Quelques louis qui garnissent ma bourse sont le produit de mon vaudeville anonyme. J’aurais laissé mes habits et mon linge, si je n’eusse craint de blesser mon oncle, et pour le moment je suis à l’auberge ; mais, quelque modeste que soit ma chambre, c’est trop cher pour mes ressources présentes, et, moi qui n’ai guère su compter jusqu’à ce jour, je vais devenir très-avare jusqu’à nouvel ordre. Je ne veux pas me laisser surprendre par le besoin et donner à mon oncle le chagrin de me plaindre ou la joie d’espérer mon retour.