Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/174

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» Ce thème nous ramenait au profond désaccord qui régnait entre nous sur l’appréciation de la richesse. De ce que je ne voulais pas qu’on se crût autorisé à l’acquérir à tout prix, ma femme et ma fille concluaient que j’étais un stoïcien exalté et aveugle, et elles ne parlaient de moi qu’avec la pitié qu’on a pour un fou.

» Tout à coup le cousin mourut, et, à ma profonde surprise, il me léguait sa fortune. Je ne pouvais en croire mes oreilles à la lecture du testament. Je ne me réjouissais qu’à cause de ma fille. Son ambition satisfaite, je me flattais qu’elle saurait élever ses idées et ses vues. Elle voulait un riche mari, elle pourrait au moins le rencontrer sans intrigue et sans provocation. Elle aimait le luxe, elle allait le trouver dans le château du défunt. Son esprit ne serait plus forcé de se mettre à la torture pour se le procurer. Bientôt rassasiée, elle ouvrirait peut-être enfin son âme à la notion des vrais biens.

» Je me trompais, la lutte recommença plus acharnée sur ce nouveau terrain. Ma femme et ma fille trouvèrent l’opulence de leur château insuffisante, surannée, de mauvais goût. Il fallait tout changer. Elles taillaient et tranchaient comme en pays conquis. En un tour de main, elles firent des laquais et même des fermiers et régisseurs leurs âmes damnées. Le chef de famille n’y entendait rien. Habitué à la vie bourgeoise et imbu avec cela de fantaisies philanthropiques, il n’était bon qu’à se ruiner pour les pauvres fainéants, tout en condamnant sa maison et ses hôtes à une existence parcimonieuse. Donc, elles touchaient les revenus, ordonnaient les dépenses, achetaient des chevaux qu’elles montaient ou conduisaient avec une