Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/177

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

instincts, et je suis souvent resté anéanti devant ce fait brutal qui semblait proclamer, contrairement à toutes mes croyances, leur puissance imprescriptible. Il y a eu des jours où je me suis demandé si cette puissance ne constituait pas un droit, et si le droit sans limites de l’individu ne devait pas l’emporter sur mon code de morale et de progrès.

» Cette atroce situation me conduisait à l’athéisme, et j’ignore comment j’ai pu m’y soustraire. Je me demandais avec effroi si je n’eusse pas mieux fait de ne jamais contrarier cette nature terrible, si elle n’eût pas trouvé d’elle-même une meilleure application de son énergie, et si tout ce que j’avais dépensé de volonté, de dévouement, de conscience et d’ardeur pour la modifier ne l’avait pas, au contraire, développée par réaction jusqu’à l’excès. Vous voyez que, si quelqu’un au monde est payé pour nier le devoir et la foi au bien, c’est le malheureux qui vous parle. Eh bien, si cette foi a eu des défaillances, si ce sentiment du devoir n’a pas su triompher, ma faute doit m’être pardonnée, par cette seule raison que ma croyance a persévéré quand même, et que je proclame toujours la doctrine de la perfectibilité.

» J’ai donc été la victime d’un fait anormal, j’ai été sous l’empire d’une fatalité exceptionnelle, voilà tout. Vous souvenez-vous que je vous ai dit une fois : « Il y a un certain mérite de ma part à être optimiste, et, si l’on consultait les hommes de mon âge, on en trouverait bien peu qui estimeraient et aimeraient encore leurs semblables ? » Eh bien, ceux qui résistent comme moi à l’horreur du découragement croient aux bienfaits illimités de l’avenir, car ils savent bien les déceptions sans limites du passé, et, sans la foi à l’huma-