Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/182

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Sylvestre était devenu le mien. Ma figure était oubliée et d’ailleurs transformée par l’âge. Mon costume antique et sordide achevait de me rendre méconnaissable. Je n’avais voulu conserver aucune relation en France. J’ai donc vécu ici neuf ans parfaitement à ma guise et sans être exposé à d’autres importunités que celles de quelques curieux ; mais je n’avais ni longue barbe blanche, ni robe de bure : un ermite en redingote noire et en moustache grise les a bien vite désillusionnés.

» Irène vivait à Florence, à Londres, à Bade, partout où elle avait des intérêts à cultiver après vingt ans de l’existence que vous savez. Envahie par l’embonpoint et n’aimant personne, il lui prit fantaisie d’aimer une fille qu’elle avait mise au couvent et qu’elle prit avec elle, prétendant la marier honorablement quand il lui plairait. Cette fille était belle, douce, candide et très-bien élevée ; mais elle a déjà vingt ans, et personne de convenable ne se présente. Irène s’imagina peut-être que je pourrais relever la situation et se mit à ma recherche. Après bien des pas inutiles et une persévérance inouie, elle me découvrit, m’écrivit, et, sans attendre ma réponse, me fit surprendre par Jeanne un jour de l’année dernière.

» L’enfant a bon cœur, on l’avait bien avertie que j’étais un vieux maniaque. Elle venait me supplier de retourner en Champagne, d’y vivre dans mon ancienne médiocrité aisée, et de permettre qu’elle vint tous les ans y passer l’été auprès de moi. Sa mère s’engageait à ne pas m’y relancer. Je dus me refuser à cette combinaison. Je suis, en tant que Champenois et hobereau, mort et enterré. Il ne sera pas dit que j’ai souillé un seul jour volontairement la pauvre maison de mes