Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/184

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épouser un homme sans âme, ou à se perdre par dépit, par contagion, par fatalité héréditaire peut-être, m’empêche de respirer librement. J’en suis malade, je ne vis plus. Je voudrais l’aimer, je le dois peut-être, bien que je ne sache pas si elle n’est pas la fille du plus méprisable des hommes. Je ne l’aime certainement pas ; pourtant je ne puis la voir sans être bouleversé, et je ne puis penser à elle sans une anxiété inconcevable. Est-ce la voix du sang, est-ce pitié pour la jeunesse et l’innocence, est-ce faiblesse de vieillard ? La solitude, loin d’atrophier mon cœur, l’a-t-elle rendu plus craintif et plus tendre ? Est-ce puérilité, oisiveté d’âme ? ou quelque voix secrète de la conscience me crie-t-elle que j’ai encore un devoir à remplir en ce monde, et que je chercherai vainement à m’y soustraire ? Voyons, éclairez-moi, vous qui prétendez être très-positif et qui avez certainement un vif sentiment de la moralité humaine. J’attends que vous me rendiez le calme philosophique dont je n’aurais peut-être pas dû me départir, ou que vous gourmandiez mon égoïsme, si c’est l’égoïsme qui me fait exagérer le sentiment de ma fierté. Parlez, dites ce que vous feriez à ma place. Je ne le ferai peut-être pas, mais enfin j’y réfléchirai, et j’aurai un but à poursuivre vis-à-vis de moi-même.

Ainsi parla l’ermite, et tu penses bien que je ne me trouvai pas peu embarrassé. Je demandais le temps de réfléchir aussi. Il ne voulut pas me le donner ; ce qu il voulait, c’était précisément le résultat de mon premier mouvement.

— Eh bien, lui dis-je, à votre place, avec vos instincts de tendresse et de dévouement, je chargerais quelqu’un de parler énergiquement à madame Irène,