Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/19

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pas le détromper, et me voilà à table avec la famille.

Je voyais bien venir mon homme ; curieux, mais à bonne intention, il voulait savoir la cause de ma rupture avec mon oncle. Or, je ne voulais pas la lui dire. Que mon oncle s’en confesse ou s’en vante, c’est son affaire ; mais moi, élevé par ses soins, je ne saurais avouer qu’à toi seul que j’emporte sa malédiction pour m’être refusé à un mariage déshonorant. Je priai l’honnête tailleur de s’abstenir de questions. Je craignais de l’avoir un peu blessé par ma réserve, car il était devenu pensif ; mais tout à coup, à la fin du dîner, il me tint ce langage :

— Monsieur Sorède, vous êtes un brave jeune homme. Vous ne voulez pas accuser votre bienfaiteur ; mais il y a huit ans que je vous habille, et je vous connais. Vous ne pouvez pas avoir de torts à vous reprocher. En venant me payer ce reliquat de compte dans la gêne où vous voilà, vous faites une action superbe !

Et, comme j’allais protester contre une épithète si pompeuse :

— Non, non ! reprit-il, je maintiens mon expression. Vous m’avez donné là une preuve d’affection. Vous vous êtes dit que, si je réclamais cette petite somme à votre oncle, — il est emporté et soupçonneux, le cher homme ! — je pourrais avoir des désagréments avec lui, et, à dire vrai, j’aurais mieux aimé perdre cela que de recevoir quelque affront. Que voulez-vous ! j’ai les sens vifs, moi aussi ! Enfin vous vous êtes dit : « Diamant est un brave homme, il ne faut pas qu’il soit contrarié. » C’est dire que vous avez pensé à moi qui ne vous suis rien, et que dans vos ennuis il vous eût été bien naturel et bien permis d’oublier. C’est là