Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/197

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— Équivoque ! m’écriai-je ; voyons, mademoiselle Jeanne, qu’entendez-vous par là ?

— Ma foi, je n’en sais rien, répondit-elle ; c’est un mot que j’entends murmurer autour de moi, et qui signifie peut-être que je suis destinée à être très-malheureuse. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Je ne l’ai pas mérité, voilà ce que je sais, et je suis très-résolue à réagir contre mon sort dès qu’on voudra bien m’éclairer. D’après la conduite bizarre de mon grand-père, ma mère a eu des torts envers lui, des torts que sans doute elle ne sait pas et ne comprend pas ; car elle est si bonne pour moi, qu’elle ne peut pas avoir été méchante avec lui. Elle ne paraît songer ni à s’en accuser ni à s’en repentir. Donc, cela tient à des opinions différentes, et voilà où mes idées s’embrouillent tout à fait. Peut-on et doit-on se désunir et rompre ses liens de famille parce qu’on ne pense pas de même sur la philosophie ou sur la politique ? Alors, je me demande si la politique et la philosophie ne font pas plus de mal que de bien en ce monde, et si, en me disant de chercher à convertir mon grand-père, que cette prétention-là a beaucoup offensé, maman ne m’a pas fait faire une grande imprudence, pour ne rien dire de plus. La manière dont mon grand-père m’a répondu m’a prouvé qu’il était bien loin d’être un athée, et que son âme vaut peut-être mille fois mieux que celle de beaucoup de dévots et de dévotes que je connais. En outre, il est plus tolérant qu’eux, car il m’a dit : « Sois pieuse, et retourne au couvent, si tu crois à ce qu’on y enseigne. Pourvu que tu sois sincère et pure, Dieu te bénira ! » J’aime donc la religion de mon grand-père, et, s’il veut m’y instruire, j’irai avec lui où il faudra, bien que ma-