Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/209

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dans un salon plus intime, à coté, que mademoiselle Vallier donne ses leçons aux enfants. Le bruit des gammes que faisait le petit Sam a couvert le bruit de mes pas. Mademoiselle Vallier me tournait le dos. J’ai pu l’examiner à mon aise pour la première fois depuis que je la connais. Je ne voyais pas sa figure penchée sur le pupitre, mais je contemplais tranquillement sa belle chevelure si moelleuse et d’un ton si doux rabattue en touffes énormes sur sa nuque blanche et forte, son buste un peu serré des épaules, arrondi chastement, souple comme une liane, et si honnêtement vêtu, que l’on n’oserait pas le regarder, si elle savait qu’on y songe. On sent en elle, jusque dans le moindre pli de la robe, une décence instinctive, ni cherchée ni affectée, car ce ne serait plus la vraie décence, quelque chose de modeste et de fier, peut-être l’insouciance du succès ou l’inconscience de la séduction. Je me demandais s’il était possible que Gédéon, libre de cœur et de volonté, ne fut pas épris physiquement de cette fille que personne ne peut voir sans ressentir un certain trouble, comme si son austérité cachait des trésors de tendresse ou de volupté, et en même temps je me disais que, si cet homme de sens et d’expérience s’imaginait pouvoir la séduire sans l’épouser, il fallait que ce fût là une femme bien hypocrite avec les autres,… ou encore… que je ne sois qu’un niais !

Tout à coup, en me penchant un peu pour la mieux voir, je me suis avisé d’une glace où elle pouvait me voir moi-même, et je me suis sauvé en me sentant rougir comme un écolier pris en faute. Mécontent de moi, je m’en suis allé chez M. Sylvestre. Je voulais lui parler de Jeanne, je ne lui ai parlé que de