Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/22

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chambre. Il y a une vieille femme qui donne de l’air tous les deux jours : pour un rien, elle vous fera votre ménage. Pour trois francs par jour, vous mangerez à la pension dans le bourg. Mettons tant pour le charbon de terre, tant pour le blanchissage, tant pour l’imprévu. Vous dépenserez cent cinquante francs par mois, et vous serez bien, et vous irez comme ça trois ou quatre mois sans vous tourmenter. En quatre mois, pouvez-vous faire un ouvrage qui vous rapporte un millier de francs ?

— Je l’espère.

— Alors, vous aurez encore de quoi marcher pendant près de six mois, et, d’ici là, il passera de l’eau sous le pont.

J’ai trouvé l’idée excellente, j’ai accepté. J’ai acheté du papier et de l’encre, j’ai pris le chemin de fer, et me voilà.

Je n’ai dit adieu à personne, je n’ai voulu initier personne à mon chagrin de famille. Je ne veux pas me plaindre, je ne veux pas accuser mon oncle, je ne veux pas qu’il sache où me prendre. Il me rappellerait, il faudrait soulever de nouveaux orages pour lui faire accepter mon indépendance. Quand je pourrai lui prouver que je n’ai pas besoin de son argent, j’aurai le droit de réclamer son amitié.

La pluie a cessé pendant que je t’écrivais, le paysage a reparu, c’est enchanteur. Il n’y a pourtant pas une feuille aux arbres ; mais déjà un imperceptible gonflement des rameaux a fait disparaître la rigidité cadavérique de l’hiver. Au premier plan, c’est à dire au delà du petit jardin dont j’ai la jouissance, une vaste oseraie me sépare de la rivière. Ce fouillis de branches fines et serrées est d’un ton indéfinissable ; c’est