Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/236

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Les tableaux, les vases et les statues me rappellent le bric-à-brac de mon pauvre père : j’étais bien plus chez moi à l’Escabeau !

Et puis, voyez-vous, il y a trop de devoirs attachés à cette situation. Il y a deux jeunes enfants à élever, deux vieilles sœurs à entourer de soins, une nombreuse famille, une clientèle immense de parents, d’amis, d’employés, d’associés, de coreligionnaires ; un monde enfin à comprendre ou à deviner, à contenir ou à satisfaire, afin que le rôle important et actif de M. Nuñez ne soit entravé par rien et reste tel qu’il l’entend. Tout ne me plaît pas dans l’édifice de cette cité. Indépendante comme je suis, je peux m’en retirer le jour où je ne saurai plus faire ma note juste dans ce concert ; mais si j’étais le chef d’orchestre !… Ah ! mon Dieu ! j’en perdrais la tête, et, si je manquais à la moindre des obligations que cela impose, je n’aurais pas d’excuse ; je n’aurais plus qu’à me dire : « Tu l’as voulu, Georges Dandin ! »

Tout cela ne me paraîtrait rien pourtant, si j’aimais M. Nuñez. Je ne connais pas l’amour ; mais, dans l’idée que je m’en fais, c’est une des applications de la foi divine, de cette foi qui transporte les montagnes. Quand je regarde l’intelligente et belle figure de M. Nuñez, je ne me demande donc pas si elle me plaît, si je la voudrais plus ou moins jeune, avec des yeux d’une autre couleur et un nez d’une autre forme. Non, je crois l’amour plus mystérieux que cela, et la notion vague que j’en ai est trop chaste pour que je m’arrête à l’examen de la personne extérieure. Son caractère n’a certes rien qui me soit antipathique ; mais, quand je ferme les yeux et que je me vois madame Nuñez, riche, parée, trônant dans cette opulence qui est l’œu-