Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/244

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vrai, car il entoure mademoiselle Vallier d’une muette et fervente adoration, et comme sans aucun doute elle en est touchée, il se trouve qu’il aura discerné et conquis la compagne qui lui convient, tandis que j’ai l’humiliation d’être le jouet du caprice de Jeanne, qui ne me convient sous aucun rapport sérieux.

Tu as très-bien défini la situation. On voudrait me rendre amoureux de cette jeune fille, et il y a une véritable conspiration autour de nous : Gédéon et ses sœurs, mademoiselle Vallier. Rébecca… et l’ermite lui-même ! Oui, le candide et généreux M. Sylvestre a cru me faire entendre avec finesse, mais en réalité m’a dit fort clairement qu’il serait heureux de me donner Magneval et sa petite-fille, et qu’un cœur généreux et droit comme le mien devrait se faire un devoir et une joie de réhabiliter l’avenir de cette enfant. Au moment où il me parlait ainsi en axiomes d’une naïve transparence, mademoiselle Jeanne est arrivée comme par hasard à l’ermitage. Elle a d’abord joué gaiement et insolemment la surprise ; mais devant mon regard elle a rougi, et ses yeux se sont remplis de larmes. Voilà le danger, oui, tu l’as pressenti ! On peut devenir amoureux sans aimer, et j’ai éprouvé un grand trouble en voyant que ma figure railleuse et mauvaise perçait d’un trait amer ce jeune cœur à la fois timide et présomptueux. Oui, elle est séduisante, la fille aux cheveux fauves ! Elle avait justement je ne sais quelle coiffure de rubans écarlates qui rehaussait encore l’éclat de cette auréole naturelle. Elle était dans un rayon de soleil, et semblait être descendue de l’astre même pour entrer comme une conquérante apparition dans le sombre réduit de l’ermite. L’ange de l’annonciation n’était