Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/245

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pas plus lumineux et plus éblouissant quand il apporta l’extase dans la maison du charpentier. Et moi, quand à cette invasion triomphante de l’ange je vis succéder sur les joues de la jeune fille le trouble de la pudeur alarmée, j’eus un peu de vertige, et je faillis dire à l’ermite : « Bénissez-nous ! »

Mais j’ai su me défendre de cette folie, et je me suis retiré après quelques mots insignifiants échangés avec eux. Pourtant j’ai été encore plus faible quand je me suis trouvé seul dans le bois. Mon cœur grondait et battait dans ma poitrine, j’avais le sang dans les oreilles, je m’imaginais entendre le rire frais, un peu forcé, et toujours enfantin quand même de cette belle fille sans cœur ou sans conscience ; car je ne l’aime pas, je te le jure, et je la juge encore plus sévèrement que tu ne le fais. Ou elle joue une comédie pour se faire épouser, ou elle n’aime ni ne plaint sa mère. Je sais que celle-ci, pour la première fois peut-être de sa vie, a eu un chagrin vrai, on dit même un désespoir sérieux. C’est un châtiment mérité… Mais j’ai été voir mon oncle, moi ; j’ai vu sa tristesse, j’ai été désarmé, je l’ai embrassé avec une effusion qui m’a fait sentir que ce n’est pas à nous de punir nos parents, et que, fussent-ils mille fois injustes, égarés ou coupables, nous sommes odieux quand nous les faisons volontairement souffrir.

Alors, ce beau rire de Jeanne qui me chantait dans la cervelle m’a semble aigre et discordant. Je me suis senti impropre à cette cruelle mission de la séparer de la femme qui l’a portée dans ses entrailles et d’approuver l’ingratitude et la cruauté. Non ! si j’étais l’époux de Jeanne, j’aurais pitié de sa mère, je ne saurais pas la chasser de chez moi lorsqu’elle viendrait im-