Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/253

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mait, on l’aimerait d’amour et d’amitié, ce qui serait sans doute l’idéal de l’affection. Et pourquoi n’aimerait-elle pas Gédéon ? Je n’en sais rien, moi ; je ne suis pas femme. Il est peut-être très-séduisant quand il parle aux femmes. Jeanne est coquette avec lui aussi. Était-ce pour me piquer au jeu ? Je rougirais de m’y laisser prendre.

Depuis cette soirée, c’est-à-dire depuis quatre jours, je me suis tenu coi à l’Escabeau, et je n’ai même pas causé avec mon ermite, bien que je l’aie vu aller à la pêche et que nous ayons échangé de loin un signe amical. Je ne veux plus qu’il me parle de Jeanne, je serais forcé de lui faire de la peine, et j’espère qu’il comprendra mon silence. J’ai à peu près terminé mon second article, je n’en suis pas mécontent. J’ai le travail facile, je ne me fatigue pas, car je dors très-bien et tout de suite après avoir veillé assez avant dans la nuit. Ne t’inquiète donc pas de moi quand je mets un peu d’intervalle entre mes lettres. Je les fais assez longues et assez détaillées pour te dédommager. Je me suis promis et je te promets de continuer l’analyse consciencieuse et fidèle de cette phase de ma vie. C’est une étude qui n’a rien de bien dramatique ; tout se bornera, je crois, à naviguer tant bien que mal, mais sans naufrage, entre deux écueils, puisque le temps d’aborder ce que tu regardes comme la terre promise n’est pas encore venu pour ton ami Pierre. Dans cette navigation, j’ai tout de même une étoile propice que je ne puis invoquer, mais dont la mystérieuse et salutaire influence me préserve du météore à l’ardente chevelure. Aldine me sauvera de Jeanne, et elle ne le saura pas : est-ce que les étoiles savent qu’elles nous éclairent et nous guident ?