Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/279

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Oui, Philippe, je le reconnais en présence du fait, heureux ceux qui peuvent aimer ! J’ai nié cela, moi, ou du moins j’ai cru qu’en dehors de la rigide et tranquille amitié conjugale, il n’y avait rien qu’une surexcitation des sens ou de l’imagination. Je vois bien qu’il y a autre chose, puisqu’un homme positif comme celui que j’ai sous les yeux a des émotions si douces et si vives. Il faut peut-être l’action d’une femme sincère et forte en même temps que gracieuse et charmante pour faire naître ce sentiment qui est un mélange d’ardeur et de délicatesse. C’est comme un besoin de vivre à deux dans le sens intellectuel et moral du mot. On ne se contente plus de sa propre approbation, on sent qu’elle est froide et stérile. On cherche sa conscience dans celle de la femme aimée, car on la lui donne, on désire qu’elle l’interroge et qu’elle l’apprécie, et un mot d’encouragement qu’elle lui accorde vous fait tressaillir, un éloge d’elle vous enivre. On n’existe plus par soi-même, on se trouve sot d’avoir cherché si longtemps en soi une force qui n’y était pas, et on découvre que cette force, née du souffle de l’amour, peut devenir immense et faire un homme supérieur de l’homme très-ordinaire que l’on était avant ce baptême.

Je ne sais si je me trompe sur le compte de Gédéon, si je m’exagère ce qu’il éprouve, s’il est véritablement à la hauteur de cet enthousiasme ou de cette vigoureuse croyance, s’il est sincèrement naïf, et si, en feignant d’implorer son appui, il ne travaille pas adroitement à m’engager. Ce que je sais, c’est qu’en cherchant à pénétrer la cause de ses alternatives de tristesse et de gaieté, d’abandon et de méfiance, je me suis avisé de quelque chose de nouveau en moi-même,