Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/281

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l’on n’élève pas de troupeaux et où, le temps de la récolte passé, on ne rencontre pas d’autres êtres vivants que ceux qui ne dépendent pas de l’homme. Le calme y est si profond, que, malgré la grâce et la mollesse de formes du paysage, malgré la richesse du sol et la fraîcheur du coloris, on y est saisi d’un certain effroi ou d’une sorte de tristesse inexprimable. Il n’est donc pas nécessaire d’aller chercher dans les déserts du nouveau monde l’émotion de l’isolement. On la trouve à deux pas de Paris, peut-être à deux pas de Londres, et, par cela même qu’on échappe si facilement à l’action de ces grands centres d’expansion sociale, on sent plus vivement le charme et la douleur de n’appartenir à rien et de ne rien posséder sur la terre.

J’ai dit le charme et la douleur. Il y a de l’un et de l’autre dans mes promenades sans but et dans mes rêveries sans objet déterminé. Je ne cherche pas beaucoup à rencontrer M. Sylvestre, et même, si je ne l’aimais pas infiniment, je l’éviterais dans la disposition d’esprit où je suis. Je redoute ses analyses, son besoin de se rendre compte de tout et de se consoler de tout par l’espérance de temps meilleurs qu’il ne verra pas. Moi qui suis jeune, j’aurais besoin de vivre de ma propre vie ; mais cela ne m’est pas permis. Il faut que je travaille ou que je pâtisse, sans qu’un être aimé soit associé à ma fatigue, à mes dangers ou à mes privations. Ce serait mal de souhaiter, insensé de se plaindre. J’ai dans ma jeunesse et dans ma raison des forces appropriées à la destinée que j’ai choisie. Allons… Quelques larmes coulent parfois de mes yeux distraits, sans que je sache bien sur quoi j’ai envie et besoin de pleurer. Suis-je un être assez intéressant