Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/282

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pour que je me berce et me console comme un enfant qui s’ennuie ? Non certes ! ces larmes sont vite essuyées, et je rentre pour écrire d’une main ferme : « Le bonheur n’est pas un mot, mais c’est une île lointaine. La mer est immense, et les navires manquent. »


Onze heures du soir.

Ce soir, Gédéon est venu causer avec moi. Tout à coup l’heureux mortel m’a beaucoup déplu. Il a été suffisant et fat. Il a oublié que, s’il avait quelque motif d’espérer, c’est moi qui le lui avais donné en provoquant l’éloge qu’on a fait de lui et en le lui rapportant. Il n’est pas si épris que je croyais, puisqu’il croit en lui-même. Il me semble que l’amour doit être craintif et placer son idole dans une si haute région, que le respect la défende de nos chants de triomphe. Si j’étais agréé par une femme comme mademoiselle Vallier, je ne le dirais qu’à toi ou à M. Sylvestre. Gédéon ni aucun autre ne me le ferait avouer, j’aurais peur qu’un sourire ne me fit comprendre que je suis indigne d’elle. Loin de là, Gédéon proclame sa victoire avant de l’avoir remportée, et, s’il ne dit pas qu’il est aimé, il déclare qu’il sera adoré. Quand donc ? pourquoi ? Il m’a donné des envies de rire et des frissons de colère. J’ai été sur le point de lui dire qu’il était un sot.

Mais de quel droit, et de quoi est-ce que je me mêle ? Il a peut-être reçu des encouragements que j’ignore, et, au fait, je ne sais rien de tout ce qui se passe entre eux. Mademoiselle Vallier n’est pas obligée de me le dire. Elle peut avoir déjà disposé irrévocablement de son avenir, et le nier par prudence ou par pudeur. Gédéon m’a dit ce soir :