Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/293

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mère. Ce n’est pas Dieu qui l’avait fait trop faible pour vivre, c’est l’injustice et l’emportement d’autrui qui l’ont brisé. Quand je l’ai vu sur son lit d’agonie, où il a langui plusieurs mois, j’ai senti vivement que la douceur et la tendresse eussent pu le ranimer encore ; mais on nous séparait, et cette tendresse qui fait des miracles lui a manqué. Quand j’ai vu Zoé dans une situation analogue, je me suis juré que celle-là ne périrait pas par manque de soins et d’affection. Tout le monde ne sait pas ce qu’il y a d’amer, ce qu’il y a d’horrible à voir mourir ceux que l’on croit avoir été capable de sauver. Pour moi qui le sais, que j’aie tort ou raison, que mes amis me condamnent ou m’approuvent, je n’hésiterai jamais entre mes devoirs envers moi-même et la vie de ceux qui n’ont que moi pour appui.

En parlant ainsi et en se rappelant son frère, elle avait la figure couverte de larmes qu’elle ne songeait ni à montrer ni à cacher.

J’ai eu envie de me jeter à ses pieds et de lui dire les choses les plus folles. Ce n’est pas la crainte d’être absurde qui m’a retenu, c’est celle de lui paraître lâche. On est venu nous interrompre. Je me suis retiré quelques instants après, et à présent je me dis que je n’aurais pas été lâche du tout. N’est-elle pas libre ? La cause de Gédéon n’est-elle pas perdue ? N’est-ce pas lui qui a été un peu lâche de me cacher la vérité et de me confier avec tant d’aplomb ses espérances, jusqu’à faire devant moi des projets, et de me parler de son bonheur au futur bien plus qu’au conditionnel ? Enfin n’ai-je pas été sa dupe, le confident d’un bonheur imaginaire, le gardien d’un château en Espagne ? Pourquoi laisser croire et laisser dire à tout