Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/327

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dormir aussi. Je suis très-bien installé. Les deux chambres de l’Ermitage sont assez vastes, et en quelques heures M. Nuñez y a fait porter un véritable matériel d’ambulance. Nous nous partageons, l’ermite et moi, les plus grosses fatigues de nuit. Il est étonnant, ce vieillard ! De tous les hommes qui m’aident, il est le plus solide, le plus alerte, le plus fortifiant à voir et à entendre. La noble vieillesse ! comme c’est bien la récompense logique d’une bonne vie !

Je dois dire que mademoiselle Vallier est infatigable aussi. Elle est arrivée à l’Ermitage une heure après l’événement. Elle le pressentait, elle l’avait deviné la veille à l’agitation de M. Nuñez, et le jour même à sa sortie matinale, dont elle s’était aperçue. L’ermite m’a raconté qu’à ce moment-là on ne croyait pas que Pierre vivrait deux heures. L’épée avait presque traversé le corps. La prostration était complète ; le chirurgien était sans espoir. Quand mademoiselle Vallier est entrée, M. Nuñez suçait la plaie. Il faut te dire que cet animal furieux est le meilleur des hommes… quand il n’est pas furieux. Il a certes voulu tuer son adversaire, il a poussé son arme avec rage, et, à peine vengé, il a eu horreur de lui-même, il a soigné Pierre comme s’il eût été son fils. En voyant mademoiselle Vallier, il lui a dit avec égarement :

— Le voilà, regardez ! Il est perdu, je l’ai tué !… Haïssez-moi ! Je me déteste !

Mademoiselle Vallier n’a rien répondu, elle s’est penchée sur le pauvre Pierre, et, devant tout le monde, elle l’a baisé au front ; puis elle est tombée sur une chaise, et l’ermite a cru qu’elle allait mourir aussi, Gédéon lui a dit tout bas :

— Vous l’aimiez donc ? Il fallait le dire !