Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/60

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

beaux diamants au duc de B… ? Il était encore hier dans mon cabinet.

— Je ne l’ai pas remarqué.

— Tu as eu tort ; il faut toujours remarquer un homme qui a trois millions et qui n’a que deux enfants. Il les adore, c’est un cœur généreux, il compte leur donner à chacun un million en les mariant ; mais, dame ! il veut les bien marier. Ils ne sont pas beaux. Le garçon est un peu bossu ; la fille, sans être contrefaite, est un peu petite : mais c’est si jeune ! Ça a seize ans, c’est bien élevé, habitué à obéir, car le papa Aubry ne plaisante pas, et tout marche chez lui comme sur un navire.

— Attendez donc, mon oncle ! Je me souviens à présent. M. Aubry est un aventurier qui a fait les quatre parties du monde et tous les métiers.

— Eh bien, après ? C’est comme ça qu’on s’enrichit quand on a de l’esprit. Il a fini par trouver au Brésil l’or en barres et les pierreries dans la gangue. Il a fait une grosse fortune, et il continue à l’arrondir. Il est armateur, il est servi par des nègres ; si tu voyais ça, chez lui, c’est un luxe et un ordre ! Prends ton chapeau, nous allons lui faire une visite.

— Déjà ?

— Il faut battre le fer pendant qu’il est chaud !

Je n’avais alors aucun parti pris pour ou contre le mariage, n’y ayant jamais songé, et croyant avoir dix ans devant moi pour y réfléchir. J’avais encore un peu de ce respect craintif de l’enfance qui ne prévoit pas la possibilité d’une révolte ouverte, et d’ailleurs j’étais tellement abasourdi de la précipitation de mon oncle, que je le suivis machinalement place Royale,… j’ai oublié le numéro. C’était en été, la chaleur était écra-