Page:Sand - Monsieur Sylvestre.djvu/94

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— Les prix Montyon ne s’obtiennent pas sans protection, mon cher enfant, et la protection va rarement chercher les gens qui se cachent. Ah ! si l’on savait combien d’héroïsmes ignorés méritent l’assistance, l’insuffisance de ces petits secours deviendrait risible.

Je ne pus empêcher M. Sylvestre de revenir à son mécontentement contre la société. C’est là où il cesse d’être optimiste, et je dus lui soumettre quelques objections. Tu sais que je ne comprends pas le blâme déversé à un état général qui n’est que le résultat de l’imperfection des individus. Il me semble que, pour réaliser le rêve de la fraternité universelle, il faut commencer par inculquer l’idée de fraternité à tous les hommes. C’est bête comme tout, mais je trouve encore plus bête qu’on veuille s’y prendre autrement, et même j’avouai à M. Sylvestre que vouloir imposer des lois idéales à un peuple positif me paraissait inique et sauvage. C’est la doctrine du terrorisme : fraternité ou la mort ; c’est aussi celle de l’inquisition : hors l’Église point de salut. La vertu et la foi décrétées ne sont plus la foi et la vertu ; elles deviennent haïssables. Il faut donc laisser aux individus le loisir de comprendre les avantages de l’association et le droit de la fonder eux-mêmes quand les temps seront venus. Ceci ne fait pas le compte des convertisseurs, qui veulent recueillir le fruit personnel, gloire, pouvoir ou influence, profit quelconque de leur prédication orgueilleuse, ou qui se plaisent tout au moins à jouer le rôle d’apôtres purifiés au milieu d’une société souillée. La réponse de M. Sylvestre ne m’a pas fait changer d’avis ; mais elle m’a frappé quand même par des aperçus très-justes.