Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/100

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

grand air, le soleil de septembre, l’aspect des vieux manoirs, le mouvement à travers les grands bois, les beaux jardins, les fleurs luxuriantes, et, plus que tout cela, l’indéfinissable influence que répand dans l’air qu’on respire la présence d’un groupe de femmes jeunes, belles, jolies, opulentes, et forcément plus avenantes à la campagne qu’à Paris, ne fût-ce que par devoir d’hospitalité ou par désœuvrement, c’était de quoi enivrer un peu cette tête vide et l’emporter hors du cercle rigide que lui avaient tracé la mode du scepticisme et ses instincts de farouche indépendance.

Le succès d’Éveline sur Thierray fut fatalement favorisé par l’attitude que prit, sans préméditation, madame Dutertre. Elle avait l’habitude, aussitôt que paraissait un étranger, et surtout un jeune homme, de s’effacer entièrement pour laisser briller les filles de son mari. À Paris, où elle se trouvait comme tête à tête au milieu du monde avec ce mari passionnément épris d’elle, elle redevenait elle-même et laissait percer une vive intelligence. Mais, dévouée à ses devoirs avant tout, elle ne quittait presque jamais la campagne et la famille. Aussi n’était-elle pas brillante d’habitude. Thierray ne l’avait vue que dans un de ces rares intervalles où elle ne craignait pas d’exciter de funestes rivalités. Quand il la trouva si réservée, si peu communicative, si sobre de se faire voir et entendre, bien qu’il reconnût qu’elle était encore plus belle que ses filles d’adoption, il la jugea guindée.

— Je ne m’étais pas trompé sur sa jeunesse et sur sa beauté, se dit-il ; mais je m’étais fait illusion sur son esprit et sa grâce. C’est une vaniteuse indolente qui s’admire elle-même et se croit dispensée d’être aimable.

Personne ne songea à entrer au salon avant de se mettre à table, le repas était servi, Dutertre avait faim.