Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/106

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son cigare, le jeta bien loin, malgré ses réclamations, et la laissa causer avec Thierray.

Pendant que ces deux jeunes gens faisaient assaut de coquetteries, innocentes de la part d’Éveline, mais assez dangereuses pour Thierray, Nathalie, blessée de n’être l’objet des attentions exclusives de personne, quitta le perron, où l’on fumait et causait à l’abri d’une vaste tendine d’étoffe de palmier, et s’enfonça dans les massifs de la pelouse. Insensiblement, perdue dans d’assez chagrines rêveries, elle s’éloigna dans le jardin anglais et se trouva tout à coup face à face avec Flavien.

Mais ce face à face ne troubla ni l’un ni l’autre. En marchant d’un pas lent et mesuré, Nathalie n’avait pas éveillé Flavien, qui, assis sur un banc de gazon et la tête un peu renversée contre la tige d’un platane, dormait du sommeil du juste.

De Saulges avait ces besoins de repos subit et complet que les natures actives et robustes éprouvent et satisfont là où elles se trouvent, à moins qu’elles ne soient forcées de les combattre par un effort de la volonté. Il s’était levé de grand matin, il avait fait six ou sept lieues de pays au trot allongé d’un vigoureux cheval, il avait déjeuné à la hâte en repassant par Mont-Revêche, il était reparti sans songer à faire une sieste ; enfin il était las, il se trouvait dans un lieu solitaire et frais, et, sans dessein prémédité, il dormait comme un roi, ou comme un paysan.

Nathalie fut choquée de cette grossièreté, et, tournant légèrement les talons sur la mousse discrète, elle s’éloigna avec mépris ; mais, au bout de trois pas, cette réflexion l’arrêta :

— J’ai menti hier au soir à Éveline en voulant lui faire croire que ce garçon était déjà épris d’Olympe. Il ne la connaît pas, il ne se soucie ni d’elle ni de nous. C’est,