Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/132

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jours douté, je sens que le cœur vaut mieux que l’esprit.

Thierray, en parlant ainsi, avait une larme au bord de la paupière. Il était moins bon réellement que Flavien ; mais il sentait plus vivement, et il réparait une vie de méfiance et de jalousie par une heure d’entraînement et d’effusion plus profonde qu’il n’était donné à Flavien de le lui rendre.

Pourtant ce dernier vit l’émotion de son compagnon et lui en sut gré.

— C’en est assez, ami, lui dit-il en lui prenant encore la main. Pardonnons-nous le passé, et disons-nous que nous nous sommes toujours estimés et protégés mutuellement. Dans les réunions de jeunes gens de mon espèce où je t’ai attiré, je t’ai sauvé, à ton insu, plus d’une méchante affaire. Dans les réunions de gens de lettres et d’artistes où je t’ai suivi, je suis certain que tu m’as sauvé plus d’un ridicule. Ne soyons jamais humiliés de nous devoir une assistance mutuelle, et brûlons au feu de l’amitié toutes nos petitesses. À présent, continu a-t-il, permets-moi de te parler de ton avenir. Il doit être beau. Tu n’es pas né pour aspirer péniblement à la fortune. Il faut qu’elle vienne te trouver ; tes goûts sont ceux d’un homme d’élégance, d’indépendance, de contemplation. Ton talent n’a pas besoin du stimulant de la misère. Loin de là, la misère le glacerait, car, si tu sais souffrir, tu ne sais pas renoncer. Sois donc riche, si tu le peux. Épouse mademoiselle Éveline Dutertre.

— Épouser une fille riche, arriver au luxe, à la liberté, à la satisfaction de tous mes appétits par une platitude ? Jamais !

— Depuis quand est-ce une platitude d’épouser une femme qu’on aime ?

— Eh bien, oui, je l’aime, puisque tu l’as deviné,