Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/141

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rien, mon ami ! Je n’ai pas conscience de cela. Mais qu’importe ?

— Ma chère femme, vous n’êtes pas malade ?

Elle porta doucement à ses lèvres la main de Dutertre, qui tenait les siennes, et, comme accablée du sommeil de la santé ou de la fatigue, elle retomba sur son oreiller et ses yeux se fermèrent. Dutertre interrogea son pouls, il était lent et faible ; il toucha son front de ses lèvres, il était frais et calme. Elle avait un sourire angélique, une pâleur transparente, une beauté idéale.

Dutertre éprouvait pour cette jeune femme tous les transports de la passion, mais ce n’était pas l’unique cause de son attachement pour elle. C’était, avant tout, une estime profonde, un respect sans bornes, une tendresse inépuisable. Il l’aimait comme sa femme, peut-être encore plus que comme sa maîtresse. C’était une affection aussi complète, aussi vaste, aussi élevée que l’âme qui lui servait de sanctuaire.

Il la regarda se rendormir, plongé dans une extase respectueuse ; car il y avait, dans sa passion, de ces moments d’idolâtrie où il se trouvait heureux de la contempler sans qu’elle y prît garde. Mais une douleur vague traversa tout à coup son rêve de bonheur :

— Si elle était malade ! pensa-t-il, si j’allais la perdre !

Et une sueur froide glaça son font.

— Pourquoi donc cette idée ? se dit-il encore. Est-ce un pressentiment ? Est-ce l’instinct de la misère humaine qui nous présente toujours le souvenir de la mort au sein des délices de la vie ?

Il s’éloigna sans bruit, se souvenant qu’il avait laissé la porte du boudoir ouverte et qu’Amédée l’avait suivi jusque-là. En redescendant l’escalier de la tourelle, il fut frappé d’un autre souvenir qui se dessinait plus net, à me-