Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/182

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vous la prieriez de partir la première, en attendant que vous me fissiez la même invitation, si je venais aussi à vous être une société obligée, une figure importune ?… Eh bien, ma chère Nathalie, tu es folle, mille fois plus folle que ta sœur Éveline. Je veux croire que ta grande logique est en complet désaccord avec elle-même, ou bien je me persuaderais avec terreur que tu n’aimes personne et que tu voudrais substituer des esclaves étrangers aux égaux naturels qui sont dans ta famille. Pardonne-moi de n’en pas vouloir écouter davantage. J’ai la prétention de garder vis-à-vis de toi mon rôle de père, de demeurer le chef de la famille et de n’être influencé que par la douceur et la raison.

— Oui, par Olympe ! murmura Nathalie avec aigreur.

— Assez, ma fille, assez ! dit Dutertre, dont la voix émue prit malgré lui l’accent d’une douceur déchirante. Tu es irritée et injuste ; mais tu es intelligente et fière. Tu rentreras en toi-même, et tu te jugeras cette nuit, comme Éveline s’est jugée ce soir : à moins que tu n’aimes mieux te condamner naïvement tout de suite, afin que j’aie plus vite la joie de t’absoudre et de t’ouvrir mes bras.

— Mon cher père, répondit Nathalie un peu ébranlée, vous êtes très-bon, très-grand, très-digne de commander. Tant que vous serez près de nous, toutes choses, selon moi, iront pour le mieux. Ne m’interrogez plus, je vous en supplie, avant le jour où vous serez prêt à nous quitter. Alors vous me permettrez de reprendre cet entretien et de l’amener à une solution que je persiste à croire nécessaire pour vous et pour moi.

— Tâchez qu’elle soit plus acceptable que celle de ce soir, dit Dutertre en l’embrassant, et, jusque-là, promettez-moi de ne souffrir d’aucune chose de détail sans m’en dire franchement la cause. Veux-tu me le promettre, ma fille ?