Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/187

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le temps où nous sommes, c’est peut-être un rêve, et le mortel dégoût que j’éprouve dans cette carrière m’est un sûr garant que ma vocation n’est pas là. Je suis un homme des champs, un simple conducteur de travaux, travailleur moi-même, ingénieur, pionnier, défricheur de landes, ami et enfant de la terre, compagnon et frère des ouvriers que je moralise en les occupant. Arrière les discoureurs qui ergotent sur cette grande question de l’agriculture sans connaître ni l’homme ni ses besoins, ni le sol et ses ressources ! À quoi me sert de passer ma vie à entendre des paradoxes et à les combattre sans succès ? Cela est bon pour ceux qui aiment les phrases et qui sont jaloux d’influence. Moi, je déteste les vaines paroles et n’ai pas besoin d’être député pour faire du bien autour de moi. Je donne ma démission et je reste parmi vous. Je marie mes filles, ce qu’elles ne sauront faire elles-mêmes, et je sauve ma femme. Voilà qui est décidé.

— Ce sera le bonheur de Caroline et le mien, répondit Amédée ; mais, quoi que vous fassiez, ce ne sera ni celui de ma tante ni le vôtre. Éveline et Nathalie s’habitueront vite à vous braver. Souvenez-vous qu’il y a deux ans, lorsque vous passiez ici la meilleure partie de l’année, et que leurs caractères n’étaient pas développés comme ils le sont aujourd’hui, il y avait déjà des luttes puériles, mais orageuses, que vous ne pouviez vaincre sans souffrir.

— Je souffrirai !

— Et la souffrance de ma tante en sera aggravée. N’oubliez pas que le seul fil auquel tienne son existence, c’est la croyance où elle est encore de votre bonheur.

— Il est vrai ! que faire donc ? Éloigner ma femme ? On croira que je ne l’aime plus, que je ne l’estime pas ! Éloigner mes filles ? Elles se diront haïes et chassées par