Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/199

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contré les miens, s’en détournaient avec une sorte de terreur ou de honte.

» Tout cela fut l’affaire d’un instant et ne fut remarqué, peut-être, que par le jeune Dutertre, qui a l’innocente ou dangereuse habitude de regarder beaucoup sa jeune tante, et qui en est, si je ne me trompe, éperdument épris.

» Si j’étais un romancier comme toi, je dirais ici que cette rougeur contagieuse et ce regard échangé avec madame Dutertre décidèrent du reste de ma vie. Mais, comme je sais que quand tu mets ces choses-là dans tes livres, tu n’en penses pas un mot, je m’en priverai, et me bornerai à dire qu’ils décidèrent du reste de ma semaine.

» Aussitôt que je pus approcher de madame Dutertre sans être surveillé, je lui demandai pourquoi elle préférait les fleurs d’azalée aux autres fleurs, et nous eûmes une suite de propos, interrompus fort habilement de sa part, fort lourdement, mais obstinément renoués de la mienne. Enfin, elle fut forcée de me comprendre, tressaillit singulièrement, et garda le silence en détournant la tête. Je pris sa main ; elle se retourna vers moi d’un air étonné : je le fus plus qu’elle, en voyant qu’elle avait la figure couverte de larmes.

» Thierray, je n’aime pas les larmes : j’en ai vu beaucoup, mais celles-là, je t’assure, étaient de vraies et belles larmes, de celles qu’on ne retient pas parce qu’on ne les sent pas couler, de celles que l’homme qui les cause voudrait essuyer avec ses lèvres.

» Je sentis ma faute. J’avais été brusque, presque emporté dans mes questions. Je baisai sa main avec ardeur. Elle ne la retira pas trop vite et me répondit par ces paroles :

» — Vous devez me trouver bien faible et bien ner-