Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/217

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écrivit avec une prodigieuse rapidité une épître en vers libres qui ne contenait pas moins de quatre cents lignes rimées, serrées sur dix feuillets de petit vélin. C’était une critique facile, rieuse, mais non blessante, de l’astuce féminine sous toutes ses formes. Thierray n’était pas méchant, et jamais le dépit ne l’avait rendu cruel. Ombrageux et susceptible, il se piquait aisément au jeu ; mais sa générosité naturelle et le sentiment de sa force l’empêchaient d’être vindicatif. Il n’y avait donc, dans cette satire, aucun trait accusé contre Éveline ou madame Dutertre. Il en fit la moitié de midi à six heures, l’autre moitié de huit heures à minuit. Puis, se sentant fatigué et un peu assoupi, il plia, cacheta et mit l’adresse ; après quoi, il porta le paquet sur un buffet d’antichambre où Gervais prenait chaque jour les envois destinés à être remis au piéton, à l’heure matinale de sa tournée. Thierray revint à son bureau pour ranger ses papiers ; mais, rêveur et fatigué, il appuya ses coudes sur la table, son front sur ses mains, écouta machinalement le grillon qui chantait dans la cheminée, et tomba insensiblement dans cet état de l’âme et du corps qui n’est ni la veille ni le sommeil.




XVIII


À différentes reprises, Thierray, au milieu de ce demi-sommeil qui n’était pas sans charmes, crut entendre quelques bruits inusités dans la maison. Il ne s’en inquiéta pas d’abord. Il n’y avait pas de chien de basse-cour à Mont-Revêche ; la maison était si bien fermée, par sa propre construction, qui n’avait d’issues que sur la cour intérieure ; le mur qui reliait les trois façades était si