Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/230

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grand’peur. Cette idée d’essayer votre courage m’a passé par la tête, j’ai pensé à la faire partager à mes sœurs, ou à Amédée. J’ai craint leur froide raison. Et puis on vous disait malade. Je ne voulais pas vous tuer, moi ! Enfin, aujourd’hui, Crésus m’apprend que vous n’avez jamais eu d’entorse (je m’en doutais bien !), que vous aviez failli venir demain, et puis que, tout d’un coup, vous vous êtes ravisé. Voyant que vous aviez résolu de me faire enrager, j’ai voulu vous rendre la pareille. Je m’ennuyais hier au soir. Ma belle-mère est absente, Amédée et Caroline aussi. Mon père est absorbé dans je ne sais quel travail ; Nathalie me cache je ne sais quel mystère. Elle s’enferme dans sa chambre, fait des paquets et range des papiers comme si elle allait se marier à mon insu. Une irrésistible envie de me divertir par une excentricité sans pareille s’est emparée de moi. En dix minutes, j’ai organisé ma sortie avec Crésus, et, au coup de minuit, comme tout ronflait sous le toit maussade de Puy-Verdon… Mais vous savez le reste. Et en voilà bien trop pour motiver une chose puérile dont vous voulez absolument faire un événement dramatique. À présent que j’ai répondu, répondez ! Où prenez-vous que j’expose mon honneur en venant chez vous ? N’avez-vous point d’honneur vous-même ? N’êtes-vous pas un homme d’esprit, un artiste, qui se moque des usages, des préjugés, qui ne les respecte que pour la forme, et qui prend d’une façon poétique et chaste les prétendues bizarreries d’une humeur comme la mienne ? Est-ce que ce n’est pas, au fond, une grande preuve d’estime, de confiance et même d’amitié, que je vous donne en venant ici ? Et, si je me suis trompée en osant rire avec vous comme avec mon frère (comme je vais quelquefois rire tout haut aux grands éclats dans le pavillon d’Amédée), cela vous donne-t-il le