Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/233

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comme elles me font beaucoup de peine, permettez-moi de ne pas m’y exposer.

— Ah ! vous êtes une sirène ! s’écria Thierray. Vous venez me voir seule, en pleine nuit, et vous exigez que je trouve cela très-drôle et pas du tout enivrant ! Le danger auquel vous ne pensez seulement pas pour vous, il faut que je n’y croie pas pour moi-même ? Mais c’est à devenir fou !

— Voyons, pourquoi donc ? répondit Éveline en souriant. Tout le danger, entre une fille chaste et un homme d’honneur, est d’arriver à s’aimer l’un l’autre, n’est-ce pas ? Eh bien, nous sommes jeunes, nous sommes égaux, nous sommes libres. Il n’y a aucun obstacle entre nous, et, s’il faut vous le dire, mon père m’a grondée, le dernier jour que vous êtes venu chez nous, parce que j’étais trop cruelle envers vous et que je ne lui parlais pas de vous assez sérieusement…

— Vraiment, Éveline ? dit Thierray troublé.

— Ne le saviez-vous pas ?

— Non, je vous le jure !

— Eh bien, sachez-le, dit-elle en riant, et prenez l’épreuve que j’ai voulu faire ce soir de votre courage comme un des côtés de l’examen auquel j’ai le droit de vous soumettre. De votre côté, comme vous n’êtes pas plus décidé que moi à combler les vœux de mon père, soumettez-moi à vos analyses. Je m’y prête, vous le voyez : je vous apporte ici toute l’irréflexion, toute la déraison, toute la simplicité de mon caractère. Si vous appelez cela de la coquetterie, je ne sais pas comment vous appellerez le contraire. Dites-moi qu’une jeune personne capable d’un pareil coup de tête vous est insupportable, je le concevrai : mais, moi, j’aurai le droit de vous répondre qu’un poète capable de se fâcher d’une pareille confiance en lui…