Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/252

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— Vous me l’arracherez donc de force, si je vous la refuse ? dit Nathalie, qui voulait faire violer son dernier reste de conscience.

— Non, dit Dutertre. Dieu me préserve de porter jamais une main égarée sur les objets de mon affection ! Je fais appel à votre devoir le plus sacré, qui est de n’avoir pas de secrets pour votre père.

— Je ne peux pas résister, dit Nathalie ; mais je vous prends à témoin de l’effroi et de la douleur avec lesquels je vous obéis.

Elle lui mit en tremblant la lettre dans la main et voulut sortir. Dutertre, qui était encore maître de son émotion, l’arrêta.

— Restez, dit-il, ceci est peut-être la flèche empoisonnée du Parthe ; je veux causer avec vous de cette lettre, quelle qu’elle soit, après que je l’aurai lue ; asseyez-vous.

Nathalie s’assit à une certaine distance, la tête tournée de manière à ne pas paraître observer l’attitude de son père, mais de manière cependant à n’en rien perdre dans la glace où se reflétait son image.

Dutertre, voyant une fort longue lettre, la posa sur la table, approcha son siège et lut… non pas une lettre de Thierray à Nathalie, comme il s’y attendait, mais la lettre que Thierray avait reçue de Flavien la veille.

Thierray, dans la préoccupation et la fatigue d’esprit où l’avait surpris Éveline à Mont-Revêche la nuit précédente, avait, une demi-heure auparavant, enveloppé et cacheté, à la place de ses vers, les dix petits feuillets qui composaient la lettre de son ami. Le hasard avait voulu que les deux paquets se trouvassent rapprochés sur la même table, qu’ils eussent le même volume, la même apparence, que le papier azuré fût le même, car celui dont s’était servi Thierray était un reste de celui que Flavien