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naire, lui faisaient trop juger les autres hommes par lui-même.

Il savait bien qu’il en est de corrompus. Le soin qu’il avait pris de les éloigner de son sanctuaire et de ne s’entourer que d’esprits délicats et de caractères nobles lui ôtait la notion des faiblesses inhérentes à la nature humaine. Dans sa modestie, il croyait aussi austères que lui tous les hommes qu’il pouvait estimer d’ailleurs.

Marié à vingt ans à une femme de seize, il n’avait jamais connu les égarements du cœur et de la conduite à l’âge où les passions sont farouches chez les hommes, faute de satisfactions légitimes ; sa jeunesse avait donc été pure comme son enfance. Après avoir perdu sa première femme, il n’avait pu perdre le souvenir des quatre ans de bonheur tranquille et plein qu’il avait goûtés dans le mariage. Il ne comprenait même pas le bonheur sous une autre forme, et une longue douleur l’avait préservé des passions fugitives. À trente ans, il en avait essayé pourtant, n’osant pas confier ses enfants trop jeunes à une seconde femme. Mais, dans ce qu’il appelait en lui-même ses égarements, il avait conservé une moralité qui eût fait sourire la plupart des hommes du monde où il vivait, si sa chasteté instinctive lui eût permis de s’en expliquer devant eux. Il avait toujours regardé comme un tel crime de chercher à séduire une jeune fille ou une femme mariée, qu’il ne croyait pas qu’on pût être honnête homme et voler ainsi l’honneur des familles. De là son excessive confiance dans tous ceux qui l’entouraient, pour peu qu’ils gardassent devant lui certaines apparences de moralité sociale. Il est vrai de dire que les manières de cet homme rare, son aversion pour le cynisme, l’esprit avec lequel il le rembarrait, enfin, je ne sais quelle influence de gravité douce, toujours présente au milieu de son plus aimable enjouement, repous-