Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/289

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Si bien qu’un soir, Dutertre s’étant absenté (ayant été tout de bon forcé d’aller passer vingt-quatre heures à sa ferme des Rivets pour une importante expertise), il passa par la tête d’Éveline de faire une seconde campagne à Mont-Revêche. Le succès de la première l’enhardissait. Il y a, dans l’impunité d’une faute comme d’une sottise, un attrait fatal pour en commettre d’autres.

— Thierray est fantasque, se disait-elle. Il est susceptible, ombrageux, un peu despote. La dernière fois que nous nous sommes vus, il est parti triste. Ou ma fortune épouvante sa fierté bien réellement, ou, en voulant l’amener à tolérer mes défauts, j’ai véritablement effrayé sa rigidité. Il se débat contre moi, et cependant il ne feint pas ; il n’est pas malade, il ne cherche point, cette fois, de prétexte, mais il reste, il attend, il veut me faire sentir que je dois plier et me soumettre aux exigences de son caractère. Il n’en sera pas ainsi. Je veux qu’il m’aime comme je suis, et que mes sottises mêmes, faites au profit de son amour-propre, lui tournent la tête et me le livrent pieds et poings liés. Il me recevra mal, il me dira encore des injures : tant mieux ! il en sera d’autant plus repentant et plus faible quand il me verra pleurer. Oui, oui, je sais bien que cela me fera grand mal et que je pleurerai pour tout de bon ; mais il m’en demandera pardon à genoux, et, quand le jour paraîtra, il me dira encore comme Roméo : « Non, ce n’est pas le chant de l’alouette ! »

Il s’agissait d’exécuter ce téméraire projet, rendu plus difficile par la résistance formidable de Forget, et par l’hésitation de Crésus, qui commençait à craindre les conséquences de son rôle de page.

— Je me passerai d’eux, j’irai seule, se dit Éveline. J’aurai un déguisement meilleur que celui de madame Hélyette : j’irai à pied, je resterai moins longtemps, je