Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/293

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voyait passer Éveline, dont, malgré l’éloignement, il reconnaissait le costume et l’allure élégante. Il eut le courage de ne pas se montrer à la fenêtre, et crut le danger passé quand elle eut disparu dans le boisé avec son plan écrit dans le cerveau.

À minuit, Éveline, qui s’était procuré un costume de paysan, sous prétexte d’habiller de neuf le petit neveu de Grondette (un gars d’une quinzaine d’années, à peu près de sa taille), endossa le sarrau de toile bise, chaussa les longues guêtres de laine et les gros souliers, couvrit ses épaules d’une peau de mouton bien chaude, à la manière des bergers du pays, cacha ses beaux cheveux sous un chapeau à grands bords, s’arma héroïquement de petits pistolets sous sa blouse, prit un bâton de houx dans sa main délicate couverte de gros gants verts tricotés, et gravit les rochers de la cascade avec autant de nerf et d’haleine que si elle eût fait toute sa vie le métier de chevrière. De ce côté, le parc n’était fermé que par une barrière rustique, facile à enjamber. Éveline, souple et mince comme un serpent, passa à travers les barreaux, et se trouva, en pleine nuit, en pleine campagne.

La grande connaissance qu’elle avait des moindres accidents du terrain, des moindres détails du paysage, lui permit de se diriger presque à vol d’oiseau sur Mont-Revêche, à travers les taillis, les prairies et les ravins, sans suivre aucune route tracée. Elle avait donc beaucoup de chances pour ne rencontrer personne, et elle les eut toutes, car elle traversa effectivement un désert. Elle fit le double du chemin voulu, pour éviter les petits torrents des montagnes et les ascensions trop pénibles ; néanmoins elle eut encore plus d’une fatigue à surmonter, plus d’un obstacle à franchir : rien ne la rebuta. Exaltée par son propre courage, alerte et solide dans les