Page:Sand - Mont-Reveche.djvu/383

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ment assez grave dans la famille, et qui t’a atteint comme les autres ?

— Quoi ? les malheurs matériels qui ont frappé, Dutertre ? la perte de sa fortune ? Ma foi, non ! je n’y pensais pas. Tu savais donc cela ? Eh bien, je dois te dire, à la louange de nous tous, que cela est arrivé dans un moment où aucun de nous n’était capable de s’en affecter, tant nous avions des sujets de douleur plus sérieux. Pour mon compte, Flavien, je te confesse que je m’en suis réjoui, autant que, dans ces tristes jours de deuil, je pouvais me réjouir de quelque chose. Cela me relevait à mes propres yeux, de me sentir dépossédé du million de ma femme. Ce diable de million, je n’avais jamais pu en digérer l’expectative. Ce revenu, qui nous était assigné d’avance, dépassait tellement mes besoins, à moi qui avais rêvé six mille livres de rente comme le but de mes désirs et la récompense de mon travail, que je me suis trouvé encore trop riche le jour où Dutertre nous a dit : « Mes enfants, voilà notre fortune. Elle est réduite des trois quarts. Elle n’est plus que d’un million à partager en cinq parts égales. Celle des pauvres d’abord : c’est la part de Dieu ! celle de mes trois filles, et la mienne ma vie durant. Nous étions riches : nous voici dans la médiocrité. Nous ne sommes plus les rois de la province : nous sommes encore des bourgeois fort aisés. Ne nous plaignons pas. Nous avons pu sauver notre honneur, notre fierté, notre indépendance. » Ce digne père ! il était presque content d’être déchargé des devoirs énormes que lui créait sa richesse. Cette catastrophe l’a sauvé physiquement et forcément du désespoir. Obligé de liquider sa position pour remplir tous ses engagements avec la plus exquise délicatesse, il s’est ranimé et relevé sous le fardeau d’un devoir nouveau. Quant à nous, voici ce que,