Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/10

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dès l’âge de cinq ans, et je ne me rappelle pas les avoir connus. Ils moururent tous deux de la petite vérole dont je faillis mourir avec eux, l’inoculation n’avait pas pénétré chez nous. Je fus élevée par un vieux grand-oncle qui était veuf et qui avait deux petits-fils orphelins comme moi et un peu plus âgés que moi.

Nous étions parmi les plus pauvres paysans de la paroisse. Nous ne demandions pourtant pas l’aumône ; mon grand-oncle travaillait encore comme journalier, et ses deux petits-fils commençaient à gagner leur vie ; mais nous n’avions pas une seule pelletée de terre à nous et on avait bien de la peine à payer le loyer d’une méchante maison couverte en chaume et d’un petit jardin où il ne poussait presque rien sous les châtaigniers du voisin, qui le couvraient de leur ombre. Heureusement, les châtaignes tombaient chez nous et nous les aidions un peu à tomber ; on ne pouvait pas le trouver mauvais, puisque les maîtresses branches venaient chez nous et faisaient du tort à nos raves.

Malgré sa misère, mon grand-oncle qu’on appelait Jean le Pic, était très honnête, et, quand ses petits-fils maraudaient sur les terres d’autrui, il les reprenait et les corrigeait ferme. Il m’aimait mieux, disait-il, parce que je n’étais pas née chipeuse et ravageuse. Il me prescrivait l’honnêteté envers tout le monde et m’enseignait à dire mes prières. Il était très sévère, mais très bon, et me caressait quelquefois le dimanche quand il restait à la maison.

Voilà tout ce que je peux me rappeler jusqu’au moment où ma petite raison s’ouvrit d’elle-même, grâce