Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/12

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et il partit pour le marché en me disant qu’il serait de retour avant le coucher du soleil.

C’est la première fois que je me rendis compte de la durée d’une journée et que mes occupations eurent un sens pour moi. Il paraît que j’étais déjà bonne à quelque chose, puisque je savais balayer, ranger la maison et cuire les châtaignes ; mais je faisais ces choses machinalement, sans m’en apercevoir et sans savoir qui me les avait apprises. Ce jour-là, je vis arriver la Mariotte, une voisine plus à l’aise que nous, qui m’avait sans doute élevée et que je voyais venir tous les jours sans m’être jamais demandé pourquoi elle prenait soin de notre pauvre maison et de moi. Je la questionnai, tout en lui racontant ce que m’avait dit le père Jean, et je compris qu’elle s’occupait de notre ménage en échange du travail que mon grand-oncle faisait pour elle en cultivant son jardin et en fauchant son pré. C’était une très bonne et honnête femme qui me donnait sans doute depuis longtemps des leçons et des conseils, et à qui j’obéissais aveuglément, mais dont les paroles commencèrent à me frapper.

— Ton grand-oncle, me dit-elle, se décide donc enfin à acheter du bétail ! Il y a longtemps que je le tourmente pour ça. Quand vous aurez des moutons, vous aurez de la laine ; je t’apprendrai à la dégraisser, à la filer et à la teindre en bleu ou en noir ; et puis, en allant aux champs avec les autres petites bergères, tu apprendras à tricoter, et je gage que tu seras fière de pouvoir faire des bas au père Jean qui va les jambes quasi nues, pauvre cher homme, jusqu’au milieu de l’hiver, tant ses chausses sont mal rapiécées ; moi, je n’ai pas le temps de tout faire. Si vous pouviez avoir