Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/123

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ronflait dans son grand fauteuil de cuir ; et, après l’avoir lu, nous nous trouvâmes, sans le savoir, plus instruits que lui et que la plupart des gens de notre temps. Il nous venait, à propos de tout, un tas d’idées, et, si nous eussions su ce qui se passait en politique, nous aurions pu porter sur la révolution des jugements au-dessus de notre âge ; mais nous ne le savions que quand M. Costejoux venait au moutier, et il n’y vint guère pendant l’hiver à cause des mauvais chemins qui nous séparaient du reste du monde. Cette grande solitude nous empêchait de nous tourmenter du temps présent et nous laissait ignorer que, dans beaucoup d’autres endroits, il y avait des troubles et des malheurs, à cause que l’on ne pouvait s’entendre sur la politique et la religion.

J’ai fini d’écrire la première partie, la partie tranquille de mon histoire, et je vais entrer dans les événements qui nous emportèrent, comme tout le monde, dans leurs agitations. À présent, ceux qui m’auront lue savent que mon éducation est assez faite pour que je m’exprime plus facilement et comprenne mieux les choses qui me frappent. Il m’eût été impossible, durant tout le récit que je viens de faire, de ne pas parler un peu à la manière des paysans : ma pensée n’eût pas trouvé d’autres mots que ceux où elle était alors contenue, et, en me laissant aller à en employer d’autres, je me serais prêté des pensées et des sentiments que je n’avais pas. Je me mettrai maintenant un peu plus de niveau avec le langage et les appréciations de la bourgeoisie, car, à partir de 92 je n’étais plus paysanne que par l’habit et le travail.