Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/15

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Attendre au lendemain pour faire manger Rosette (je l’avais déjà baptisée) me parut bien long. J’obtins la permission d’aller avant la nuit faire de la feuille le long des haies. Je passais dans mes mains les branches d’ormille et de noisetier sauvage, et je remplissais mon tablier de feuilles vertes. La nuit vint et je me mis les mains en sang dans les épines ; mais je ne sentais rien et je n’avais peur de rien, quoique je ne me fusse jamais trouvé seule si tard après le soleil couché.

Quand je rentrai, tout le monde dormait chez nous, malgré les bêlements de Rosette, qui sans doute s’ennuyait d’être seule et regrettait ses anciennes camarades. Elle se trouvait étrange, comme on disait chez nous, c’est-à-dire dépaysée. Elle ne voulut pas manger, ni boire. J’en eus beaucoup d’inquiétude et de chagrin. Le lendemain, elle parut très contente de sortir et de manger l’herbe fraîche. Je voulais que mon grand-oncle lui fît vitement un abri où elle pût dormir sur de la litière, et je me hâtai, aussitôt après la messe, d’aller couper de la fougère sur le communal. Comme chacun en faisait autant, il n’y en avait guère ; heureusement il n’en fallait pas beaucoup pour un seul mouton.

Mais mon grand-oncle, qui n’était plus bien leste, avait à peine commencé sa bâtisse, et je dus l’aider à battre et à délayer de la terre. Enfin, vers le soir, Jacques lui ayant apporté des grandes pierres plates, des branches, des mottes de gazon et une grosse charge de genêts, la bergerie fut à peu près debout et couverte. La porte était si basse et si petite, que moi seule pouvais y entrer en me baissant beaucoup.

— Tu vois, me dit le père Jean, la bête est bien à