Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/154

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sans peine. J’y entrai résolument et demandait à lui parler. On me répondit qu’il était à table et qu’on ne voulait pas le déranger.

Je repris avec aplomb qu’un patriote comme lui était toujours prêt à écouter un _enfant du peuple, _et que je demandais qu’on lui rapportât mes paroles. Un moment après, on me fit monter dans la salle à manger, où je faillis perdre contenance en le voyant au milieu d’une demi-douzaine d’hommes à figures plus ou moins sinistres qui sortaient de table, un ou deux allumant des pipes, ce qui, dans ce temps-là, était réputé grossier. La parole que le domestique avait transmise de ma part attirait l’attention sur moi. On me regardait en ricanant, et l’un de ces hommes me posa sur la joue une grande main velue qui me fit peur. Mais j’avais à jouer un rôle et je cachai mon dégoût. Je fis, des yeux, l’inspection de tout ce monde. Je n’y connaissais personne, ce qui me rassura entièrement. Personne ne pouvait me connaître.

J’ignorais le danger de rencontrer l’odieux frère Pamphile, puisque Dumont ne l’avait point vu et ne savait rien de sa conversion au sans-culottisme. Par bonheur, il ne se trouvait pas là, et je me mis à chercher M. Costejoux, qui se tenait vers le poêle, le dos tourné.

Il fit un mouvement et me vit. Je n’oublierai jamais le regard qu’il me lança ; que de paroles à la fois il y avait dans ce regard ! Je les compris toutes, je m’approchai de lui et lui dis avec aplomb, en reprenant le langage de paysanne que je n’avais eu garde d’oublier, mais en l’accentuant de l’affectation révolutionnaire :

— C’est-i toi, le citoyen Costejoux ?