Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/204

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— Oui, nos mesures sont prises et je sais très bien le chemin qu’il faut suivre ; Dumont me l’a expliqué et je l’ai vu sur la carte.

— Mais tu ne sais donc pas que ce Millard, qui a dénoncé mes malheureux compagnons de chambrée, les frères Bigut, est le maire de Crevant ?

Je fus épouvantée et je faillis renoncer au refuge que j’avais fait préparer ; mais, en tenant conseil à nous deux, nous revînmes à mon projet. Ce Millard était ou un méchant homme qui avait eu pour but une vengeance personnelle, ou un patriote bête qui n’avait pas cru envoyer ces deux victimes à la mort. Dans le premier cas, il n’avait pas de raison, ne nous connaissant pas, pour nous persécuter. Dans le second, il se repentait et ne recommencerait pas. Enfin, il pouvait être absent de la commune ou malade. C’était à nous d’éviter de passer par le bourg et de nous enfoncer dans les terres, si la maison louée par Dumont n’était pas assez loin du danger.

Mais où et quand pourrions-nous retrouver Dumont ?

Nous résolûmes d’attendre le jour sur la partie la plus élevée du plateau, dans les broussailles, d’où, sans être vus, nous pouvions dominer toute cette campagne découverte et voir venir.

J’étais atrocement fatiguée. Je m’endormis profondément, le soleil levant m’éveilla en me frappant dans les yeux. Je me lève, je regarde, Émilien avait disparu. J’étais seule avec l’âne, dont le bât et le chargement m’avaient servi de lit.

La peur me prit.

— Il aura été chercher Dumont, me dis-je, et il se sera fait ar