Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/229

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s à mort. Mais sortir du pays était une trop grande témérité. Émilien jurait que, si Dumont ou moi voulions faire cette tentative pour lui apporter des nouvelles de sa sœur, il nous suivrait.

— Vous m’avez forcé, disait-il, à vous mettre dans la position qu’on appelle _être hors la loi, _c’est-à-dire bons pour la guillotine. Eh bien, c’est dit ! Il faut nous sauver ensemble ou périr ensemble.

Quand vint le printemps, l’année s’annonçait si belle, que l’espérance repoussait en nous comme les fleurs dans les buissons. Nous n’avions plus guère de travail, nous n’avions qu’à regarder croître nos semences et les légumes plantés autour de notre bergerie. J’avais renouvelé les vêtements, et le linge durait encore. Levés et couchés avec le jour, nous n’usions pas de luminaire ; nous eussions pu passer là notre vie sans nous trouver pauvres.

Quant à être malheureux, nous ne pouvions nous y résoudre. Nous n’étions pas dans l’âge, Émilien et moi, où l’on croit à l’éternel désastre, à la vie brisée, à l’impossibilité trop prolongée de réagir contre le sort. Dumont n’était pas un grand raisonneur ; Émilien d’ailleurs était son oracle, et j’étais tous les jours plus frappée du bon sens que donnait à ce jeune homme la droiture et la fermeté de son âme. Il avait la simplicité d’un enfant dans l’habitude de sa vie, et la raison d’un homme quand on l’excitait à penser. Alors il n’avait pas besoin de réfléchir pour dire des choses qui nous paraissaient si vraies que nous nous imaginions les avoir pensées en même temps que lui. Quelquefois, il lui arriva de deviner les événements qui se passaient en France et à l’étranger, et p