Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/230

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lus tard, en nous rappelant ses paroles, nous nous sommes dit qu’il avait été_ _visité dans ses rêves par les fades. Il faut dire aussi que, dans cette solitude, nos imaginations se montaient un peu et que tout nous paraissait pronostic ou avertissement. Sans lui, qui avait un fonds de froideur dans le jugement, nous fussions devenus un peu fous, le vieux et moi. Le spectacle de la guillotine m’avait laissé quelque tendance à l’hallucination. Émilien, qui avait regardé cela avec calme, me reprenait doucement et me tranquillisait.

Un soir que je lui disais entendre toujours tomber le couperet quand je me trouvais seule :

— Eh bien, me dit-il, il tombe peut-être à l’heure où tu crois l’entendre ; c’est le moment d’élever ton cœur à Dieu et de lui dire : « Père, voici une âme de moins sur la terre. Si c’était une bonne âme, ne faites point qu’elle soit perdue pour nous. Donnez- nous sa justice et son courage pour que nous fassions en ce monde le bien qu’elle aurait fait. » C’est que, vois-tu, Nanette, ce n’est pas une tête de plus ou de moins qui changera le cours des destinées ; meurtre inutile, fatalité plus pesante ; la guillotine fait plus de mal à ceux qu’elle épargne qu’à ceux qu’elle supprime. Si on ne faisait que de tuer des hommes ! mais on tue le sens humain ! on cherche à persuader au peuple qu’il doit voir sacrifier une partie de lui-même déclarée mauvaise, pour sauver une autre partie réputée bonne. Rappelle-toi ce que nous disait le prieur : c’est avec cela qu’on recommence l’inquisition et la Saint-Barthélemy, et ce sera comme cela dans toutes les révolutions, tant que régnera la loi du talion. Moïse avait dit : « OEil pour œil et dent pour dent » ; le Christ a