Page:Sand - Nanon, 1872.djvu/232

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partis ruinent la toute-puissance de ces hommes, et le peuple, épouvanté de leur cruauté et de celle de leurs agents, est prêt à acclamer leur chute. Il y aura une réaction tout aussi sanguinaire et elle se fera au nom de l’humanité. Le mal engendre le mal, il faut toujours en revenir à l’idée du prieur. Mais après cela viendra le besoin de s’entendre et de sacrifier les sophismes de la fièvre à la voix de la nature. Peut-être qu’en ce moment Robespierre fait mourir Danton, il écrase son parti ; mais souviens-toi de ce que je te dis : l’année ne se passera pas sans qu’on fasse mourir Robespierre. Forcés d’attendre, attendons ! Puisse-t-il ne pas emporter la République ! mais, si cela arrive, ne nous étonnons pas. Il faudra, pour qu’elle renaisse, qu’elle soit humaine avant tout et que le meurtre soit devenu un crime aux yeux de tous les hommes.

Quand je demandais à Émilien comment, étant si jeune et si occupé dans ces derniers temps au travail de la terre, il avait tant de réflexion sur les événements qu’il_ _n’avait fait qu’entrevoir :

— J’ai pris des années durant mes jours de prison, répondait-il. D’abord, j’ai cru que j’allais mourir sans rien comprendre, et mon parti en était pris comme si je fusse tombé d’un toit sans aucune chance de me retenir ; mais, quand je me suis trouvé seul avec ce pauvre prêtre, dont je ne sais pas, dont personne n’a su le nom et qu’on a guillotiné anonyme, je me suis éclairé vite en causant avec lui. Nous ne pensions pas de même, mais il était si tranquille, si poli, si instruit et si honnête homme, que je pouvais aller au fond de sa pensée et de la mienne sans risquer de détruire l’affection que nous sentions l’un pour l’autre.